par Invité » 26 Mai 2010, 23:08
Allez, j’inaugure ce nouveau sous-forum !
Donc comme je le disais à Mat’, l’autre nuit je faisais des recherches sur le site de la BNF pour mes études, et évidemment, comme j’étais très concentré, je me suis mis à chercher des documents historiques sur le Puy du Fou ùù
Et parmi les listes généalogiques, romans et autres documents historiques, je suis tombé sur la correspondance a priori fictive d’un certain Charles Massé-Isidore avec Mlle Angélina de V*** (le récit n'est pas fictif mais la forme épistolaire est artificielle).
Les lettres sont datées de l’année 1828.
Dans ces lettres, qui sont au nombre de trente, notre Charles raconte son voyage dans le bocage de la Vendée, dont il trouve que le ciel lui rappelle « le doux souvenir du beau ciel de l’Italie ». Comme c’est beau… Il décrit des paysages délicieux, des cascades fraîches et limpides, des bois sombres et majestueux, la profusion de fruit, bref, il a l’air de kiffer !
Là où ça devient intéressant, c’est lorsque qu’on arrive à la dixième lettre. En effet, Charles y raconte sa journée… au Puy du Fou ! Son aventure comporte des similitudes avec celle de Philippe de Villiers : découverte du château après avoir franchi de nombreux obstacles naturels, rencontre avec un régisseur à l’hospitalité bien vendéenne, qui lui offre de quoi se rafraîchir. Par contre, la différence, c’est que le régisseur n’est pas seul : c’est toute une famille qui occupe l’une des « servitudes » (MM. L***père et fils) et Charles nous la décrit comme une famille cultivée. On peut donc supposer que cette famille lui a livré quelques secrets sur le Puy du Fou.
Accompagné de la famille L***, Charles va donc visiter le château et ses alentours. Là où ça devient très étrange, c’est lorsqu’ils vont visiter un « monument consacré à des usages inconnus », où se trouvent « douze sièges de granit creusés autour d’un bassin quadrangulaire toujours plein d’une eau froide et limpide ».
Voici le récit que Charles fait de la visite de ce monument :
Nous demandâmes à visiter le bassin circulaire, entourés de douze sièges de granit, que l’on nous avait dit avoir été jadis employé à des usages inconnus. On nous y conduisit. Mais ce monument, tout extraordinaire qu’il ait pu nous paraître, n’en fut pas moins bien loin de remplir notre attente. A la lueur des flambeaux nous l’examinâmes avec attention et nous reconnûmes, qu’au lieu d’être circulaire, il formait un carré parfait, de cinq à six pieds de profondeur [entre 1,5 et 1,6 mètres], que l’eau n’y séjournait plus ; et que les sièges, au lieu d’être incrustés dans les côtés du bassin, étaient rangés tout autour à deux pieds [60 centimètres] de distance environ. [Charles semble faire référence à un récit antérieur mais impossible de le retrouver !] Ces sièges se touchent tous et ont la forme de fauteuils antiques. De petites tables de pierre étaient autrefois placées devant chacun de ces sièges, et comme le jour ne pénétrait jamais dans ce souterrain, une lampe énorme, suspendue à la voûte par un anneau de fer, y répandait sa lumière douteuse.
Mystérieux non ? Eh bien Charles casse vite le mythe, avec une hypothèse plutôt crédible :
Nous soupçonnons, d’après sa situation au fond d’un cellier immense, que ce bassin n’était autre chose qu’un vaste cuvier, où l’on mettait à fermenter le vin nouveau ; que les sièges servaient aux buveurs, et que cet endroit écarté était consacré aux orgies bachiques des Seigneurs châtelains, qui s’y rendaient avec leurs compagnons de débauche.
Si c’est bien l’endroit auquel je pense, ce fameux « monument » devait être situé dans une petite pièce carrée, à laquelle on accède tout au fond de ce qu’on appelle justement « les caves ». Aujourd’hui, cette pièce n’accueille plus d’orgies bachiques, mais certaines réunions de cabane… (non, ça ne revient pas au même !). Je ne suis pas sûr à cent pour cent qu’il s’agisse de cette pièce, mais tout correspond : un long cellier situé sous l’aile Nord, et au fond, une pièce carrée avec des sortes de bancs en pierre sur lesquels on peut s’asseoir.
Par contre, le mystère, c’est : qu’est devenu ce bassin ?
Sinon, autre chose, j’ai remarqué que cette description de bassin ressemblait étrangement à une scène… des Chouans de Balzac ! Les lettres de Charles ont été éditées en 1828. Balzac a commencé la rédaction des Chouans à l’automne 1828 (publiés en 1829). Or, il est fort probable que pour se documenter sur la région, Balzac soit allé fouiner dans les textes descriptifs de la Vendée qui lui étaient contemporains (oui, je sais, Les Chouans se déroulent en Bretagne, mais Balzac a l’air d’avoir quelques difficultés de géographie à ce niveau-là, confondant dans son roman la Bretagne et la Vendée). On sait que Balzac s’est rendu en Ille-et-Vilaine pour effectuer des recherches. Les lettres de Charles, quant à elles, proviennent de l’imprimerie du Commerce de Nantes, pas loin donc.
Tout ça pour dire, à un moment, dans Les Chouans, il y a une scène où il décrit une salle à moitié en ruine dans la forêt, avec un « bassin demi-circulaire, entièrement composé de quartiers de granit », autour duquel s’élèvent non pas des fauteuils mais d’ « énormes pierres druidiques », le tout consacré (c’est le cas de le dire) à une messe clandestine. Si ça se trouve, c’est le Puy du Fou que Balzac décrit dans ce passage… C’est dingue nan ? … Nan ? Bon ok ùù
Sources : Lettre X de Charles Massé-Isidore à Mlle Angélina de V*** in La Vendée Poétique et Pittoresque, édité en 1828, jamais réédité depuis, conservé à la Bibliothèque Nationale de France.